01 mars 2009

FAIRPORT CONVENTION : Si tu dois partir


Acquis au Secours populaire à Châlons-en-Champagne début 2003
Réf : WIP 6064 -- Edité par Island en France en 1969
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Si tu dois partir -/- Genesis hall

Pour la nouvelle année, j'ai offert à Philippe Dumez un exemplaire de ma compilation Désordre musical 2008. Un autre de ses amis, Pascal D., lui a offert au même moment une compilation de son cru, Do you wanna dance ?. A leur écoute, Philippe s'est dit que, sans qu'on se connaisse, Pascal et moi avions beaucoup en commun et il a fait une copie des deux compilations pour envoyer à chacun de nous celle de l'autre. J'ai fait quelques découvertes à l'écoute de Do you wanna dance ? et j'ai aussi pris un grand plaisir à réécouter certains titres que je connaissais, parmi lesquels Si tu dois partir, la reprise en français par Fairport Convention du If you gotta go, go now de Bob Dylan. Ça m'a donné envie de ressortir ce 45 tours, acheté il n'y a pas si longtemps à Châlons avec quelques autres disques fin années 60-début années 70, dont celui d'Hawkwind.
If you gotta go, go now a une longue histoire discographique, qui commence justement par ne pas être discographique puisque, écrite par Dylan vers 1964 (on la retrouve sur le live au Philharmonic Hall en 1964, édité en 2004), il ne l'a pas publiée sur le coup et elle a d'abord été sortie par d'autres, comme ce fut le cas pour un certain nombre de ses titres dans la seconde moitié des années 60.
Dans ce cas précis, on peut penser que c'est le côté léger, direct et sans fioritures des paroles de cette pop song qui l'a poussé à ne pas la mettre sur l'un de ses disques.
L'argument de base est des plus classiques et, même si les paroles prétendent le contraire ("It ain't that I'm questionin' you.To take part in any quiz."), le sujet de la chanson c'est bien tout simplement "Tu veux, tu veux pas" ! Mais là où d'habitude il est question de dire à l'élu de son coeur "Reste, je veux t'aimer, la nuit est longue", le meilleur exemple du genre étant pour moi depuis l'an dernier Baby, it's cold outside de Frank Loesser, repris par Homer and Jethro sur leur premier disque en 1949, avec la participation d'une toute jeune June Carter.
Mais Dylan renverse les canons du genre, au lieu de "Reste", il dit "Vas-t'en". Là où dans la poésie galante on entend "Je ne voudrais pas te pousser à faire ce que tu n'es pas prête à faire", Dylan sort "J'aurais des cauchemars, et mauvaise conscience aussi, si je t'empêchais de faire ce que tu veux vraiment faire" et là où la pureté de l'être aimé est généralement louée, le poète sixties précise cruellement "Ce n'est pas comme si je voulais quelque chose que tu n'as jamais donné auparavant" ! Ajoutez à cela le ton typiquement acide de Dylan et deux grosses blagues, les principales explications données pour l'ultimatum du titre étant "Tu n'arrêtes pas de me demander l'heure alors que je n'ai pas de montre" et "Je vais m'endormir bientôt et tu ne trouveras pas le chemin de la porte dans le noir" !
Tout cela prouve au moins une chose, c'est qu'il y a un côté moqueur et comique dans cette chanson, que j'avoue je n'ai saisi pleinement qu'à l'écoute des rires du public dans l'enregistrement live de 1964. Il faut dire que le côté second degré (langue dans la joue comme disent l'anglais) est beaucoup moins évident dans la version studio de Dylan (de 1965 mais éditée officiellement en 1991 seulement) et qu'il disparait à peu près complètement dans la première version sortie, celle de Manfred Mann, un tube en 1965. Et je ne vous parle de la reprise qu'en a fait notre Johnny national sous le titre Maintenant ou jamais, début 1966, où le style français (le fait de rester toute la nuit n'est plus que suggéré alors que c'est l'élément de base des paroles originales) et l'interprétation gros bras font d'une situation légèrement acide une scène cruelle ("Si tu veux vraiment, qu'importe. Tu connais très bien le chemin. Mais dans le noir, Trouveras-tu la porte ?", et aussi le narrateur s'énerve qu'on lui demande l'heure, mais la précision qu'il n'a pas de montre est omise).
La reprise de Fairport Convention date de 1969. On la trouve sur l'album Unhalfbricking, le deuxième des trois albums, rien que ça, que le groupe a sortis en 1969. On imagine bien qu'à ce rythme le groupe ne passait pas des mois en studio en peaufiner ses enregistrements, d'autant plus qu'il tournait constamment, ce qui a coûté la vie suite à un accident de la route à deux personnes dont Martin Lamble, le batteur du groupe, en mai 1969, quelques jours après l'enregistrement de ce disque.
C'est d'ailleurs en tournée, comme l'a raconté Simon Nicol, qu'est née l'idée de cette version en français. Le groupe s'ennuyait entre deux sets au Middle Earth Club et ils ont lancé un appel au public pour que des francophones viennent les aider à traduire la chanson, qu'ils voulaient interpréter dans un style cajun. La grande qualité de cette adaptation, c'est qu'elle est littérale là où une traduction littérale suffit amplement, une règle que de nombreux adaptateurs devraient suivre. Ainsi "If you gotta go" devient "Si tu dois partir", "Go now" devient "Vas t'en" et "Or else you got to stay all night" "Sinon tu dois rester la nuit". Pourquoi aller chercher plus loin ?
Le 45 tours sorti dans le monde entier qui en a résulté a marché dans de nombreux pays. Il a même valu à Fairport Convention de passer à Top of the Pops.
Le gros avantage de l'interprétation de Fairport Convention c'est qu'elle ne se prend pas au sérieux et qu'elle conserve donc son côté léger à la chanson. Le violon est très présent ainsi que l'accordéon, pour le côté cajun, renforcé par l'accent de Sandy Denny, mais il y a aussi du triangle et des chaises en osier utilisées comme instrument de percussion ! Bref, c'est un délice.
Pour ce qui me concerne, c'est par Bijou que j'ai connu Si tu dois partir. En effet, quand il a choisi de reprendre If you gotta go, go now pour un single en 1977, le groupe a eu le bon goût de choisir d'opter pour la version Fairport Convention plutôt que pour Maintenant ou jamais.

PS : Et bravo au concepteur de la pochette qui, par un habile travail sur les lettrages en rouge et en blanc, a obtenu qu'un regard rapide sur la pochette peut laisser penser qu'on a à faire à Si tu dois partir de Bob Dylan !

Une chronique en français de Unhalfbricking sur I left without my hat, un excellent blog que j'ai découvert à cette occasion.
If you gotta go, go now par Manfred Mann en écoute sur YouTube.
Maintenant ou jamais par Johnny Hallyday en écoute sur Deezer.
Les deux versions de If you gotta go, go now publiées par Bob Dylan en écoute sur son site.

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