30 novembre 2008

GABRIEL DALAR : Docteur Miracle


Acquis chez Emmaüs à Tours-sur-Marne le 14 novembre 2008
Réf : 460.602 ME -- Edité par Fontana en France en 1958
Support : 45 tours 17 cm
Titres : Docteur Miracle -- Hé, Youla ! -/- Viens -- Croque-Crâne-Creux

Ça fait bien longtemps que je ne fais plus trop de bonnes affaires à l'Emmaüs de Tours-sur-Marne, du coup j'y vais moins souvent. Depuis l'album de Donovan, à part un EP de Marcel Bianchi plus tôt cette année je suis presque toujours revenu bredouille. Mais en cette saison les vide-greniers se font rares, alors j'ai retenté ma chance l'autre jour et, dès les premiers disques feuilletés, j'ai senti un changement d'ambiance : je venais de tomber sur le This is pop ? de XTC en pressage anglais alors que je n'avais que le pressage français, plus un EP live d'Eddie and the Hot Rods de 76 avec quatre reprises de classiques (enfin un peu moins que ça car le disque a dû être fondu par un mégot et le début de chaque face n'est pas écoutable...). En tout, j'ai ramené neuf 45 tours, dont un Gilles Marchal, un Morrissey et un Bobby Patterson et en plus au moment de payer j'ai vu quelques cartons de CD singles promo à 50 centimes et j'ai fait quelques affaires de plus !
Pour ce qui est de cet EP, j'aurais tout de suite dû réagir à la lecture du nom de Gabriel Dalar vu que j'avais emprunté à la Médiathèque il y a quelques temps le CD Twistin' the rock vol. 1 sur lequel on trouve les huit titres des deux EPs qui constituent son l'intégrale de son oeuvre publiée, ainsi que huit titres de Teddy Raye.
Non, en fait ce qui m'a fait m'arrêter sur ce disque et y prêter attention, ce n'est ni le nom de Dalar, ni la pochette assez moche, mais bel et bien la mention de Docteur Miracle, un titre enjoué que je connais surtout interprété par Jacques Hélian, et Annie Cordy aussi.
Ces temps-ci, je suis bien content quand mes disques sont répertoriés sur le site Amour du rock'n'roll. Ça signifie que j'ai dégotté un disque de rock français des fifties. Ce disque de Gabriel Dalar y figure bien, et, sans le savoir, j'ai bien fait de suivre la recommandation qui y figure : "Parfois le verso d’un EP gagne à être montré".
Et en effet, outre qu'on y apprend par un tampon que mon disque a appartenu précédemment à Louis Parent d'Epernay, le verso nous indique que Gabriel Dalar propose des chansons "choc", qu'il est accompagné par Alain Goraguer et son orchestre et que l'adaptation de l'un des titres est signée Boris Vian.
En me creusant un peu, j'aurais pu deviner tout seul que les notes de pochette signées Anatof de Raspail étaient en fait de Boris Vian, alors directeur artistique de Fontana. Au passage, je connaissais les activités de directeur artistique de Vian, mais jamais je n'aurais imaginé que, en plus de ses compositions, il avait adapté un nombre impressionnant de chansons anglo-saxonnes en français dans les seules années 1958-1959, dont 39° de fièvre, version française de Fever, interprétée en premier par Gabriel Dalar sur son deuxième EP.
La sélection des reprises de ce disque est symptomatique de ce qui se passait visiblement à l'époque : quand les labels voyaient passer une chanson susceptible de marcher ils se précipitaient pour la faire enregistrer par un de leurs poulains. Il y a un paquet de versions de Docteur Miracle, mais c'est le cas aussi pour Viens (reprise de When des Kalin Twins), enregistrée par Claude Piron, le futur Danny Boy, en septembre 1958, puis par Richard Anthony en novembre (sa version ne sera éditée que plus tard) et aussi donc par Gabriel Dalar. Le EP de Claude Piron de 1958 a carrément trois titres en commun avec celui de Dalar (Docteur Miracle, Hé Youla ! et Viens) et, quand on découvre que le quatrième titre est une adaptation de Where have you been Billy Boy ? par Boris Vian, on comprend que le directeur artistique de Fontana n'a pas eu besoin d'aller chercher trop loin pour sélectionner les titres à enregistrer par son poulain Dalar. Et la chaîne continue car le EP Hula hoop sorti en décembre 1958 par Moustache et ses Moustachus chez Barclay, le label qui allait embaucher Vian quelques mois plus tard, a lui aussi trois titres en commun avec celui de Gabriel Dalar.
Musicalement, avec Alain Goraguer aux manettes on sait que la base de l'instrumentation est bien plus jazz que rock : les cuivres sont ici bien plus présents et mis en avant que la guitare. Mais je trouve que les arrangements et les interprétations sont ici très fins et excellents, meilleurs que sur d'autres enregistrements que je connais d'Alain Goraguer.
Ça s'entend par exemple sur Docteur Miracle dans les bruitages qui accompagnent le remède magique du médecin. Pour Hé, Youla !, on entend un peu plus la guitare, mais c'est une chanson que je n'aime pas trop.
Il y a une chose impressionnante avec Viens, c'est que tous les ingrédients du yéyé sont déjà présents, des paroles un peu niaises aux claquements de mains, alors que le mouvement n'éclatera qu'au début des années 60. Richard Anthony et Danyel Gérard, qui sort lui aussi sa version de Viens sur son premier disque fin 1958, en seront deux des vedettes. Gabriel Dalar aura alors déjà abandonné sa carrière de chanteur, mais ce n'est pas un hasard si le magazine Music-Hall de mai 1959 consacre un article à ces chanteurs regroupés sous le terme des "trois agités".
Tout cela est bien beau, mais le clou du disque c'est le dernier titre, Croque-crâne-creux. C'est le plus rockabilly des quatre, mais c'est surtout le plus drôle.
Il s'agit d'une reprise de Purple people eater de Sheb Wooley. Je n'en avais strictement jamais entendu parler, et pourtant ce titre a été un tube énorme qui est resté six semaines n°1 aux Etats-Unis en 1958, vendant alors trois millions d'exemplaires (et cent millions en tout depuis !).
L'histoire est celle d'un monstre extra-terrestre mangeur d'hommes pourpres, qui s'avère pas si méchant que ça. Le genre d'histoire à la Here come the Martian Martians de Jonathan Richman. Vian a transformé le monstre en croqueur de crânes creux et toute l'équipe s'en donne à coeur joie, des bruitages de science fiction à la voix extra-terrestre trafiquée. Vian n'a pas pu s'empêcher de placer une référence à son pote Claude Luter, mais à sa décharge il semble que la version originale comportait effectivement un solo de clarinette.
En tout cas, des disques de chansons "choc" de cinquante ans en parfait état à 30 centimes comme celui-là, je veux bien en trouver toutes les semaines !

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